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La dolce vita
20 septembre 2010

modele scandinave...historique croisé

Les parts d’ombre du paradis danois

Un modèle à cinq exceptions ?

à consulter sur : http://www.monde-diplomatique.fr/2009/10/SERENI/18226

Existe-t-il un modèle social partagé par les cinq pays scandinaves et distinct de celui du reste de l’Europe ? La question agite les milieux universitaires et intellectuels de la région. Depuis 1996, un réseau d’historiens et de chercheurs en sciences sociales, fort de trois cents membres, y travaille (1). Dirigeants politiques, syndicalistes, militants, spécialistes ne les ont pas attendus. Il y a plus d’un siècle, en 1907, se tenait la première conférence sociale scandinave avec, à l’ordre du jour, les accidents du travail et la protection des travailleurs.

Depuis, la confrontation d’idées, l’échange d’expériences, la comparaison permanente des méthodes et des résultats des uns et des autres, la coopération politique et gouvernementale ont donné, aux yeux du monde, un air de famille aux cinq pays du Grand Nord, dans le domaine social, dans la façon d’aborder les enjeux de la maladie, la vieillesse, la pauvreté, le chômage…

En effet, au-delà des différences démographiques (la Suède, avec neuf millions d’habitants, est presque deux fois plus peuplée que le Danemark, la Finlande et la Norvège ; trente fois plus que l’Islande), politiques (la Suède et le Danemark ont été de puissants empires, la Norvège, la Finlande et l’Islande des colonies devenues tardivement indépendantes au début du XXe siècle), les cinq pays ont emprunté des itinéraires assez proches. Copenhague a montré la voie avant 1939, la Suède, épargnée par la guerre, a pris le relais après 1945.

Handicapée par la rigueur de son climat et l’ingratitude de sa terre, la région connaît longtemps une profonde misère dont elle ne sort péniblement et lentement qu’à compter de la seconde moitié du XIXe siècle, non sans avoir perdu plus du quart de sa population, deux millions et demi de ses habitants ayant gagné le Nouveau Monde. En 1875, la Suède demeure rurale et agricole à 87 %, le Danemark à 75 %, la Norvège à 81 % et la Finlande à 94 %. La transformation est alors politique — l’absolutisme est aboli au Danemark en 1848, le suffrage universel généralisé entre 1898 et 1920. Elle est également sociale — les réformes agraires mettent fin au féodalisme — et enfin économique, avec l’apparition de la grande industrie moderne (l’acier suédois, l’agroalimentaire danois…) et de l’urbanisation.

L’Eglise est à l’origine de ce qui n’est au début que le secours aux plus pauvres, souvent des paysans sans terre. Gagnée au XVIe siècle à la Réforme, à la suite de l’Allemagne du Nord, la vie locale est dominée par les mouvements luthériens d’Etat. Puissants et omniprésents sur tout le territoire, ils pratiquent la philanthropie avec sévérité, font un usage souvent punitif de l’assistance, par exemple contre les ivrognes et les mères célibataires, qui se voient privés de droits élémentaires ou même de liberté.

Des conseils de paroisse, progressivement sécularisés, d’abord en Suède et en Norvège, puis au Danemark, donnent naissance aux communes qui assistent pauvres et écoliers. Une certaine répartition des rôles s’établit entre pouvoirs central et local, l’Etat faisant la loi et les communes l’appliquant sans moyens supplémentaires, ce qui met la solidarité sur le compte des principaux contribuables de l’époque, les propriétaires fonciers. Le pouvoir central impose des avancées sociales (concernant les retraites, la santé, les orphelins…) aux élites locales, qui les appliquent au plus juste pour ne pas voir augmenter leurs impôts. Dans les années 1920 et 1930, sous la poussée syndicale, le rapport des forces politiques évolue en faveur des classes laborieuses, au détriment de la bourgeoisie et des propriétaires fonciers. Conservateurs et libéraux cèdent la première place aux sociaux-démocrates, qui forment des coalitions majoritaires au Danemark, en Suède et en Norvège. La Finlande, à peine remise de sa participation sanglante à la révolution russe de 1917, se tient à l’écart de ce gauchissement général. L’extension des droits sociaux à l’ensemble de la population est acquise, au moins au plan des principes, par la mise en place d’un partenariat durable entre les syndicats ouvriers et le patronat, qui accepte une certaine régulation du marché du travail. La protection sociale se veut universelle et inclut tous les habitants. Chaque citoyen est légalement habilité à bénéficier de l’Etat-providence, qui est financé par l’impôt et non par des cotisations sociales comme en France. Sauf en Norvège, seule l’indemnisation du chômage ressort de l’assurance volontaire des salariés.

L’âge d’or de l’Etat-providence, sa mise en œuvre effective, commence après la seconde guerre mondiale. L’ambition partagée n’est ni une société libérale ni une utopie socialiste, mais une troisième voie bâtie sur un capitalisme réformé, sur le mariage de la générosité sociale et de l’efficacité économique. Toutes les forces politiques et sociales acceptent une société de marché qui s’interdit des inégalités sociales trop prononcées. Sécurité sociale, pensions, crèches, maisons de retraite, soins aux invalides, santé, éducation, formation, recherche, culture se confortent pour apparaître aux yeux du reste du monde comme la version sociale-démocrate de l’Etat-providence.

C’est l’œuvre des partis sociaux-démocrates devenus des partis Etats, qui se maintiennent au pouvoir, seuls ou à la tête de coalitions, pendant plus de soixante ans en Suède et plus de quarante-cinq ans en Norvège ou au Danemark…

La crise économique des années 1980-1990, la fin de la guerre froide, l’affaiblissement politique de la social-démocratie, la globalisation financière fragilisent le modèle social « Norden », de plus en plus tenté de s’aligner sur celui de l’Europe occidentale, moins généreux...

Jean-Pierre Séréni.

(1) Niels Finn Christiansen (sous la dir. de), The Nordic Model of Welfare. A Historical Reappraisal, Museum Tusculanum Press, University of Copenhagen, 2006, 432 pages.

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